Le pinceau-livre

Le pinceau-livre

La joueuse d'échecs - Bertina Heinrichs

Depuis des années qu'elle travaille à l'hôtel Dyonisos comme femme de ménage, on ne peut pas dire qu'Eleni s'ennuie.  Mais sa vie est nourrie de quotidien et de routine. Elle jouit de l'estime de tous, mais dans une petite île où tout le monde se connaît, il est difficile d'échapper au regard du voisin.
Aussi, lorsqu'elle se prend de passion pour les échecs( elle déplace une pièce par mégarde dans la chambre de clients, où la remettre?), au point de se disputer gravement avec son mari, l'île est frappée de stupeur et les ragots vont bon train. elle apprend presque tout d'un vieux professeur. Alors, petit à petit, la découverte des échecs se fait découverte d'autres horizons, d'une autre vie, la vraie vie, mais aussi découverte de la liberté et découverte de soi.


Une écrivain allemande qui écrit en français, un premier roman, on se dit que ça risque d'être léger, voire inconsistant. Erreur : ce livre est magique, on y voit comment une femme d'un milieu modeste, au destin tracé, gagne son indépendance en apprenant à jouer aux échecs.... Merveille de l'écriture...

Dans ce livre très réussi, Bertina Henrichs raconte avec tact et finesse l'initiation d'une femme, son émancipation, son éveil au monde. Elle décrit également avec drôlerie et émotion une amitié pudique qui va unir contre toute attente deux personnages si différents et pourtant si complémentaires.


"Elle savait parfaitement que ce n'était pas ce qu'elle devait dire. Il aurait fallu décrire cette sensation de basculer dans un autre univers chaque fois qu'elle s'attablait devant un échiquier. Elle aurait voulu parler de ce moment où elle se projetait au coeur de la bataille et où elle se mettait à lutter avec son adversaire, dont elle appréciait l'habileté et la force. elle aurait  pu raconter à son amie cette complicité des deux joueurs qui se mesuraient l'un à l'autre, cette intimité étrange qui les isolait du reste du monde. elle aurait voulu évoquer les étonnants pouvoirs de la dame, la faiblesse du roi, mais elle n'en fit rien."


"C'était le début de l'été. Comme tous les jours, Eleni gravit la petite colline qui
séparait l'hôtel Dionysos du centre de la ville à l'heure où le soleil apparaissait à
l'horizon.
La colline, terrain vague sablonneux et crevassé, offrait une vue exceptionnelle sur la
Méditerranée et la porte du temple d'Apollon. Ce vestige de l'Antiquité, trop grandiose
dans sa conception peut-être, était resté inachevé. Ainsi sa gigantesque porte, au
sommet d'une presqu'île minuscule rattachée à Naxos, s'ouvrait simplement sur la mer et le ciel. Le soir, à défaut d'offrir un gîte à Apollon, elle accueillait, dieu pour dieu, le soleil couchant, adulé par les voyageurs éblouis. Apollon, plus discret dans ses manifestations terrestres, n'aurait sans doute appelé que quelques rares initiés.
L'imperfection du temple n'était donc pas à déplorer, mais conférait au contraire un
étrange mystère à cette terre sévère posée sur la mer Égée.
Eleni n'eut pas un regard pour le spectacle qui se jouait dans son dos. Elle le
connaissait trop bien. Toute sa vie avait été rythmée par ce théâtre gratuit ; ses
spectateurs changeants, flux incessant de nomades, venant de loin, repartant au loin.
Ce matin, la colline était particulièrement silencieuse. Le vent, qui s'était levé durant
la nuit, soufflait fort et couvrait les petits sons matinaux provenant de la ville. Eleni
n'entendait que le crissement des cailloux sous ses pas et le halètement d'un chien
errant reniflant ici et là, dans l'espoir de dénicher son petit-déjeuner. Le butin était
maigre et il arbora un air boudeur, qui fit sourire Eleni. Elle se promit de lui apporter un bout de pain qu'elle prendrait dans les restes des repas de l'hôtel."


01/08/2009
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