Un secret - Philippe Grimbert
Cela nous concerne tous, soit dans notre famille, soit parmi nos proches....
Il vous arrive de faire des choses inexplicables? Cherchez l'ancêtre!
Ce livre est écrit finement, même si on y côtoie l'horreur et la guerre, le désespoir et la reconstruction.....
Le 1er chapitre :
Fils unique, j'ai longtemps eu un frère. Il fallait me croire sur parole quand je servais cette fable à mes relations de vacances, à mes amis de passage. J'avais un frère. Plus beau, plus fort. Un frère aîné, glorieux, invisible.
J'étais toujours envieux, en visite chez un camarade, quand s'ouvrait la porte sur un autre qui lui ressemblait quelque peu. Des cheveux en bataille, un sourire en coin qu'on me présentait en deux mots : "?Mon frère.?" Une énigme, cet intrus avec lequel il fallait tout partager, y compris l'amour. Un vrai frère. Un semblable dans le visage duquel on se découvrait pour trait commun une mèche rebelle ou une dent de loup, un compagnon de chambrée dont on savait le plus intime, les humeurs, les goûts, les faiblesses, les odeurs. Une étrangeté pour moi qui régnais seul sur l'empire des quatre pièces de l'appartement familial.
Unique objet d'amour, tendre souci de mes parents, je dormais pourtant mal, agité par de mauvais rêves. Je pleurais sitôt ma lampe éteinte, j'ignorais à qui s'adressaient ces larmes qui traversaient mon oreiller et se perdaient dans la nuit. Honteux sans en connaître la cause, souvent coupable sans raison, je retardais le moment de sombrer dans le sommeil. Ma vie d'enfant me fournissait chaque jour des tristesses et des craintes que j'entretenais dans ma solitude. Ces larmes, il me fallait quelqu'un avec qui les partager...
Un jour enfin je n'ai plus été seul. J'avais tenu à accompagner ma
mère dans la chambre de service, où elle voulait faire un peu de
rangement. Je découvrais sous les toits cette pièce inconnue, son odeur
de renfermé, ses meubles bancals, ses empilements de valises aux
serrures rouillées. Elle avait soulevé le couvercle d'une malle dans
laquelle elle pensait retrouver les magazines de mode qui publiaient
autrefois ses dessins. Elle avait eu un sursaut en y découvrant le
petit chien aux yeux de bakélite qui dormait là, couché sur une pile de
couvertures. La peluche râpée, le museau poussiéreux, il était vêtu
d'un manteau de tricot. Je m'en étais aussitôt emparé et l'avais serré
sur ma poitrine, mais j'avais dû renoncer à l'emporter dans ma chambre,
sensible au malaise de ma mère qui m'incitait à le remettre à sa place.
La nuit qui a suivi je pressais pour la première fois ma joue
mouillée contre la poitrine d'un frère. Il venait de faire son entrée
dans ma vie, je n'allais plus le quitter.
De ce jour j'ai marché dans son ombre, flotté dans son
empreinte comme dans un costume trop large. Il m'accompagnait au
square, à l'école, je parlais de lui à tous ceux que je rencontrais. A
la maison j'avais même inventé un jeu qui me permettait de lui faire
partager notre existence : je demandais qu'on l'attende avant de passer
à table, qu'on le serve avant moi, que l'on prépare ses affaires avant
les miennes au moment du départ en vacances. Je m'étais créé un frère
derrière lequel j'allais m'effacer, un frère qui allait peser sur moi,
de tout son poids.
A découvrir aussi
- Chagrin d'école - Daniel Pennac
- Des jours et des nuits - Gilbert Sinoué
- Changer d'altitude - Bertrand Piccard
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 18 autres membres