Le mardi, il est reçu au bac, le vendredi il court le 100 mètres en 9,98 secondes. Il est le soixante-douzième être humain à l'avoir couru en moins de dix secondes, le second Français et il a battu le record du précédent. Pas mal, n'est-ce pas ? Une bonne semaine pour Christophe Lemaitre et il a mérité les titres des journaux.
Le lecteur les aura peut-être vus, les titres des journaux, les aura entendus. Presque tous utilisaient les mêmes mots : « Lemaitre, premier Blanc sous les dix secondes aux 100 mètres. » Je ne savais pas qu'il existait un Lemaitre, encore moins qu'il était coureur à pied, j'apprenais du même coup qu'il avait couru, qu'il était un rapide et qu'il était le premier «Blanc» à l'être autant. Effectivement, les photos nous montrent ce sympathique garçon, il a la peau blanche. C'est bien, ça, mon petit. La preuve, c'est que c'est d'abord de ça qu'on se félicite. « Premier Blanc. » Voilà, te fait-on savoir, qui fait ta gloire.
Je dois dire que je n'en suis pas revenu. Enfin, pas tout de suite revenu. C'est ça, les rédacteurs en chef de notre presse, ce qu'ils ont dans le cigare ? « Le premier Blanc » ? Force est de le constater. Après, ils font la leçon antiraciste à leurs clients, tancent Le Pen quand il remarque la couleur des footballeurs de l'équipe nationale.
Le précédent recordman de France avait couru en un centième de seconde de plus. C'était en 2005. Il s'appelle Ronald Pognon. Premier Français sous les dix secondes. S'il pensait que c'était ce qu'on se rappelait, « premier Français », il est maintenant fixé. Personne n'avait oublié qu'il n'était pas blanc !
Soyons sport, tiens, c'est l'occasion. Cherchons l'explication à cette focalisation sur la pigmentation des sprinteurs. Qui sait si elle ne l'excusera pas ? L'explication, ce serait que les champions du cent mètres sous les dix secondes seraient tous originaires plus ou moins lointains de l'Afrique de l'Ouest, que Ronald Pognon est martiniquais mais que ses ancêtres ont pu être déportés de par là. Les performances seraient dues à cette circonstance.
Justification évidemment bouffonne : les différences entre sprinteurs de toutes origines sont si minimes. Des centièmes, ni même des dixièmes de seconde n'excusent pas qu'on voit d'abord chez un coureur sa couleur, qu'elle passe avant sa taille, son âge, son poids, son milieu social, sa nationalité, son éducation, ses études, sa méthode d'entraînement, est-ce que je sais ? Lemaitre «blanc» et Pognon «noir». C'est tout ce que ces champions vous inspirent ?
Si encore elle était vraie, cette histoire d'Afrique de l'Ouest. Même pas. En 2003, Patrick Johnson, Australien, a couru le cent mètres en moins de dix secondes. Rien à voir avec l'Afrique de l'Ouest, son père est Irlandais, Irlandais de vieille souche. Vous en concluez d'ailleurs que le « premier Blanc » c'est donc en vérité ce Patrick Johnson, fils d'Irlandais, pourquoi nous dit-on que c'est Lemaitre, fils de Français ?
C'est que, mais rien à voir là non plus avec l'Afrique de l'Ouest ni même l'Afrique tout court, la mère de Patrick Johnson est d'origine aborigène. Il n'est donc pas blanc pur. S'il s'imaginait qu'avec son impureté il allait tromper la vigilance des rédacteurs en chef français. Quand Patrick Johnson est passé sous les dix secondes, comment a-t-on titré, en Australie ? « Le premier métis » ? En France, il n'a même pas dû avoir droit à un titre, ce métèque. Le « premier Jaune » y aura peut-être droit. Le «premier Hispanique », pour faire bien tout comme les Américains.
Et vous verrez qu'un jour viendra ce titre : « Le premier Juif sous les dix secondes. » Pour faire la nique à Hitler, évidemment. Christophe Lemaitre. Quelques heures après son record, « l'Equipe » lui demande quel effet ça fait, d'être le premier Blanc. Sa réponse : «Je vais entendre cette question partout. Mais c'est contre ma volonté. C'est une question superflue. » Du haut de ses vingt ans, il donne une belle leçon.