Le pinceau-livre

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La vie vivante, contre les nouveaux pudibonds. Jean-Claude Guillebaud

Près de 300 pages d’une lecture exigeante, ce livre est utile, nécessaire, indispensable. Il ne se lit pas vite (il m’a fallu 5 semaines !) car il faut comprendre et ensuite assimiler toutes ces informations et surtout prendre le temps d’y réfléchir.

Présentation de l'éditeur :

Nous vivons un extraordinaire paradoxe. Les technoprophètes de la modernité tiennent le corps en horreur Numérique, nanotechnologies, intelligence artificielle, posthumanisme, gender studies... Les nouveaux pudibonds veulent nous « libérer » de la chair et du réel.

Au coeur de la mutation anthropologique, technologique et historique en cours, des logiques redoutables sont à l'oeuvre. Elles vont dans le sens d'une dématérialisation progressive de notre rapport au monde. Le biologique témoignerait d'une « infirmité » dont il faudrait s'émanciper au plus vite.

Ainsi, sous couvert de « libération », la nouvelle pudibonderie conforte étrangement ce qu'il y a de pire dans le puritanisme religieux hérité du XIXe siècle. Et pas seulement au sujet des moeurs. Dans le discours néolibéral, l'adjectif « performant » désigne le Bien suprême. Mais ni le « système » ni ses logiciels ne savent prendre en compte des choses aussi fondamentales que la confiance, la solidarité, l'empathie, la gratuité, la cohésion sociale.

La Vie vivante, celle qu'il faut défendre bec et ongles, c'est celle qui échappe aux algorithmes des ordinateurs, à l'hégémonie des « experts » et des dominants, qui confondent « ce qui se compte » avec ce qui compte.

 

Quelques extraits ( forcément réducteur pour un livre où chaque paragraphe est important!):

 

Les conquêtes de la science et de la technologie, associées aux découvertes de certaines disciplines comme l’éthologie ou la neurologie, ouvrent des perspectives troublantes : le périmètre de la catégorie « homme » devient plus difficile à circonscrire. L’interprétation cybernétique de cette dernière – l’humain étant vu comme un faisceau d’informations, de codages et de dynamiques inter­actives – ouvre la voie à toutes les déconstructions possibles. Au sens le plus fort du terme, l’humain devient problématique. (…)

Pour les défenseurs du transhumanisme (ou posthumanisme), il est clair que les avancées de la science ont effacé les frontières qui différenciaient l’humain de la machine, de l’animal et même de la matière inerte. Ces avancées du savoir scientifique nous enseignent que l’homme n’est jamais qu’une concrétion éphémère – et manipulable à loisir – de gènes et de cellules partout présentes dans la réalité organique. Elles nous assurent que les sentiments et les pensées qui nous habitent – peur, dépression, affection – résultent d’une combinaison changeante de substances comme la sérotonine ou l’ovocytine. Elles nous disent encore que ce que nous appelions jusqu’alors la « cons­cience », l’« esprit » ou l’« âme » ne sont rien de plus qu’une émergence aléatoire et mouvante, produite par un réseau de connexions neuronales.

[...]

 

En Europe, les philosophes classiques ont tendance à hausser les épaules quand on évoque ce courant transhumaniste. Aux yeux d’une majorité d’entre eux, tout cela relèverait de la science-fiction et non d’une réflexion sérieuse. Ils poursuivent donc leur travail traditionnel et glosent savamment sur les grands textes grecs ou latins sans s’intéresser vraiment au sujet. C’est à tort. (…) En réalité, le projet transhumaniste – il se qualifie ainsi – ne relève plus du futurisme ni du délire. (…) Il inspire dorénavant des programmes de recherche, la création d’universités spécialisées et d’une multitude de groupes militants. Il influence une frange non négli­geable de l’administration fédérale américaine et, donc, le processus de décision politique. Voilà près de dix ans que ledit projet, pour ce qui le concerne, n’est plus cantonné dans le ciel des idées. Il génère l’apparition de lobbies puissants. Les hypothèses qu’il propose ne cessent d’essaimer dans les différentes disciplines du savoir universitaire.

[...]

 

Soyons clair, le terme technoprophète ne relève pas exclusivement de l’ironie. Il renvoie le plus souvent à des réflexions dont on aurait tort de sous-estimer la cohérence. Elles émanent d’esprits brillants, de savants reconnus, d’intellectuels diplômés. Par-delà les compétences particu­lières de chacun, quelques préoccupations communes les rassemblent : construire une vision positive de l’avenir, examiner les opportunités – et les promesses – qu’offrent les technologies avancées, refuser le déni peureux et le désespoir chic. À cette sensibilité s’ajoute une commune incrédulité envers la politique et le social, survivances inutiles de la pensée humaniste. Le préfixe « techno » souligne le fait que les prophètes en question s’en remettent à la technique – et souvent à elle seule – pour remédier aux malheurs du monde et tempérer la désespérance des hommes. On connaît quelques-unes des promesses – parfois délirantes – qu’autorise ce type de raisonnement : les organismes génétiquement modifiés (OGM) régleront le problème de la faim dans le monde ; un remodelage neurologique permettra de guérir les hommes de la violence qui les habite ; la vidéosurveillance fera disparaître la délinquance urbaine ; la banalisation de l’utérus artificiel parachèvera la libération des femmes ; le clonage rendra superflues les astreintes de la procréation sexuée, etc. La technique, en somme, est vue comme une « réponse » beaucoup plus efficiente que n’importe quel volontarisme politique ou même que le patient effort édu­catif pour civiliser les mœurs. Une conviction de cette nature conduit naturellement à se détourner de la politique et, à plus forte raison, du droit social.

 […]

 

 Jean-Claude Guillebaud aborde aussi le problème du temps (nous sommes si pressés, tellement moins attentifs), de la recherche scientifique qui se mercantilise, de la politique qui ne sait plus répondre à ce besoin diffus et inconscient qu'ont "les nouveaux résistants de l'intérieur" , ceux qui savent au fond d'eux-mêmes que l'homme doit rester homme et ne pas se fondre avec les machines, que nous sommes des êtres de chair, de sang, de sueur, de désir, de plaisir, d'esprit mais aussi mortels et que c'est cette finitude qu'il faut accepter pour retrouver le sens de la vie vivante!

 

  Il est encore plus important de prêter attention à cette  vie têtue qui perdure, jour après jour , dans nos campagnes. Elle nous préserve de la frivolité sans chair. Elle nous arrache à ce que Platon appelle "le ciel des idées" pour nous ramener vers le sol, c'est-à-dire dans la vraie vie.

 

Voilà! Un conseil, acceptez de prendre des semaines ou des mois pour lire ce livre difficile mais enrichissant, n'est-ce pas se sauver soi-même que de réfléchir à sa condition d'humain? Et surtout vivez, aimez, sentez, profitez! 

 

 

 



27/04/2011
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