Le pinceau-livre

Le pinceau-livre

hommage aux traducteurs

Dans tous les articles que j'ai proposés, je m'extasie sur le talent de l'auteur, mais, pour les livres étrangers, je n'ai jamais rendu hommage au traducteur. Quelle injustice!
Traduire Zweig, Zafon ou Perez-Reverde tient du grand art...

Je répare cette omission avec des extraits de cet excellent article paru sur "article XI ":

Pour les passionnés de littérature américaine, Brice Matthieussent n'est pas un inconnu. Forcément. A force de lire son nom (« Traduit de l'américain par Brice Matthieussent ») écrit en petit sur la page de garde de nos livres de chevet, d'un l'œil négligent, on a fini par l'enregistrer dans notre mémoire. Vaguement. Sans trop y prêter attention. Ne niez pas, on fonctionne tous comme ça : on se rue sur l'auteur, on en oublie le reste.
Car les traducteurs, hommes et femmes de l'ombre par excellence, sont rarement reconnus pour leur travail. Ils œuvrent en silence, loin des feux de la rampe, vivant de et pour leurs passions. Mais qui gardent peut-être au fond d'eux une déception de voir le traducteur si peu souvent mis en avant.

Ci-dessous des passages d'un entretien avec ce traducteur


Bien sûr, il y a toujours une forme de souffrance intense dans ce travail, mais elle se mêle à une sorte de jeu de piste, de parcours dans un labyrinthe. Il y a des moments où l'on transpire, d'autres où l'on est ravi d'avoir trouvé quelque chose qui nous semble parfait. Je ne sais plus qui disait : « Un traducteur est exactement la même chose qu'un écrivain, mais débarrassé des problèmes de sens », mais je trouve ça assez juste. Le traducteur n'a pas à inventer un contenu, mais c'est un écrivain quand même.

Depuis une vingtaine d'années, notre travail est un peu plus reconnu. Il y a vingt ans, on parlait du traducteur uniquement pour dire du mal de lui. La politique des critiques était simple : si le livre était formidable, c'est parce que l'auteur avait écrit un livre extraordinaire ; s'il y avait des défauts dans l'écriture, c'était la faute du traducteur.
Aujourd'hui, il y a souvent des critiques qui mettent en avant la traduction, même si ça se cantonne souvent à un « admirablement traduit ». Il y a obligatoirement un côté langue de bois : pour faire une appréciation réelle, il faudrait comparer au texte original, ce qui demanderait énormément de temps. Mais, malgré tout, ils argumentent un peu. Quand ils disent « mal traduit », ils donnent des exemples, bon ou mauvais, mais se sentent dans l'obligation de ne pas prendre à la légère le travail du traducteur. C'est quand même un gros changement. En même temps, c'est vrai que c'est du pain bénit pour les journalistes : le traducteur était la dernière Terra Incognita de l'édition.
Mais la manière de traduire a aussi changé. Il y a quelques temps, les traductions pouvaient friser l'adaptation, la réécriture, voire le caviardage de parties compliquées. Ça passait inaperçu, alors que maintenant il y a des exigences de rigueur. Je pense d'ailleurs que l'université y a contribué via la création de masters de traduction.

La traduction est-elle un art à part entière ?

La traduction a à voir avec l'art, c'est clair. Elle modifie des textes qui font partie du domaine de l'art et elle les infléchit vers une destination qui ne leur était pas forcément inhérente au départ. Quand on écrit, on ne le fait pas pour être traduit. Les traducteurs viennent se greffer de manière assez incestueuse à quelque chose qui existe déjà. Non pas comme un parasite, mais comme une recréation.

A l'arrivée, qu'est-ce qui fait un bon traducteur ?

Le plus important, c'est la passion pour la langue. Alliée à une oreille présente du matin au soir pour écouter cette langue, que ce soit à la radio, à la télévision, au cinéma, dans la rue ou dans le métro. Et il faut évidemment aussi une passion pour l'écrit. Christian Bourgois disait souvent : « Ce qui fait un bon traducteur, c'est surtout une connaissance parfaite de la langue d'arrivée », c'est-à-dire du français.

Oui, d'ailleurs certains traducteurs maîtrisaient très mal la langue qu'ils traduisaient. Baudelaire avec Poe, par exemple, ou plus récemment Maspero…

Il y aussi le cas de Maurice Edgar Coindreau, qui était le traducteur de Faulkner, Dos Passos, Hemingway etc. mais qui était agrégé d'espagnol… Mais il vivait aux États-Unis.
De toute manière, les parcours sont toujours atypiques. Baudelaire est un cas particulier, puisqu'il a fait du Baudelaire en traduisant Edgar Poe. Il s'agit de textes magnifiques, bien sûr, mais ils dénaturent un peu le texte original.

Pour le traducteur, est ce qu'il n'existe pas un moment où grandit la tentation de se substituer à l'auteur ?

Le traducteur n'a a priori pas de voix. S'il a une voix personnelle, il va tout traduire dans sa propre voix, quel que soit le texte. Ça donne des catastrophes, car il va imposer un style préfabriqué à tout ce qu'il traduit.
Le traducteur doit donc être un caméléon, savoir s'adapter, saisir et entendre la voix de l'auteur. Ça ne veut pas dire qu'il n'a pas de personnalité, qu'il n'est pas capable de créer, mais il doit être capable de rendre des voix différentes. Ça implique une certaine humilité.

Est-ce qu'il y a des textes intraduisibles ?

J'hésite… A mon avis, tout est intraduisible, pour des raisons culturelles. Quand on traduit des phrases très simples en anglais, ça ne résonne pas de la même manière pour un Anglais que pour un Français. Chaque mot, tournure syntaxique ou phrase contient de l'intraduisible. Même un mot très simple, quotidien, n'a pas le même sens selon la culture. Par exemple, « Bread » n'a pas du tout le même sens que « pain », ça n'est pas connoté pareil, ça ne sonne pas dans l'inconscient de manière similaire.
Et en même temps, tout est traduisible. Malgré tout, malgré la déperdition, malgré les gauchissements du sens, il me semble qu'il faut traduire. Seulement, le lecteur doit savoir que le résultat, ce qu'il a entre les mains, n'est pas du tout la même chose que l'original. J'avais un ami qui disait qu'on perdait 80% du texte dans une traduction. Sans pour autant qu'il y ait des contre-sens ou des oublis…

Vous dites qu'il faut que les gens connaissent l'importance de ce processus. Mais pour en avoir conscience, ne faut-il pas être soi-même traducteur ?

Si, un peu. Souvent, les gens ne se rendent pas compte qu'un livre qu'ils lisent n'a pas été écrit directement, mais qu'il y a quelqu'un qui est passé avant. D'ailleurs, je suis énervé quand des journaux font un papier dithyrambique sur un roman sans même citer le nom du traducteur. Comme si ça avait été écrit directement dans cette langue-là…
Je pense aussi que les éditeurs - inconsciemment le plus souvent - ont le désir et le besoin de supprimer le traducteur. Parce qu'ils veulent vendre un texte à des lecteurs et qu'ils veulent que le lecteur ait l'illusion que ce texte a été écrit directement par l'auteur. La notion d'intermédiaire dévalue la valeur à leurs yeux. On vit dans une culture qui continue – peut-être pas pour longtemps – à mythifier le livre. Et l'une des raisons de cette fétichisation de l'objet livre est ce sentiment d'être en contact direct avec un auteur. Dans ces conditions, le traducteur s'interpose comme un écran, un masque, un obstacle indésirable.




12/06/2009
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